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Matthias Sindelar : lorsque Mozart le footballeur suppléa Mozart le compositeur

27min | 09 Avr. 2021Partager
Sindelar effectuant un tir lors d'un match

Introduction

3 Avril 1938, l'Allemagne nazie organise un match de football contre l'Autriche envahie. Le match doit se terminer sur le score de 0 à 0, signe de paix entre les deux peuples. Matthias Sindelar n'est pas de cet avis là : il marquera le premier but de la rencontre et ira célébrer son but, au nez et la barbe des dignitaires nazis.

Un génie est né !

Matthias Sindelar naît le 10 février 1903 dans l'actuelle ville de Kozlov, située en République Tchèque. Il voit le jour au sein d'une famille pauvre, d'un père maçon et d'une mère lavandière. Ses parents décident de déménager à Vienne en 1905 dans le quartier de Favoriten où vivent de nombreux expatriés tchèques et hongrois. Quartier défavorisé au Sud de Vienne qui verra naître les premiers touchers de balle du jeune Sindelar. Étant bambin, sa famille n'a même pas assez d'argent pour lui acheter une paire de chaussures de football. Il prendra les rênes de la famille lors de la disparition de son père au front, durant la Première Guerre Mondiale. Pour faire vivre cette famille, le petit Matthias devient alors apprenti mécanicien puis gagne sa vie en étant recruté par le club du Herta Wien en 1918. C'est pendant sa formation au sein de ce club qu'apparaît son premier surnom “der Papierene”, “l'homme de papier”, dû à son visage de bambin et son physique maigrichon : environ 1m75 pour un poids de 60kg. Il compense alors un corps frêle et peu avantageux physiquement, par une très grande qualité technique, de dribbles et d'esquives de ses adversaires balle au pied. Après une grave blessure au genou, une opération du ménisque et un licenciement du Herta Wien en 1924 à cause de grave problèmes économiques, il rebondit dans le club du médecin qui l'a conseillé de se faire opérer : l'Austria Wien, club appelé à l'époque Wiener Amateure et qui est alors champion d'Autriche en titre.

Photo d'époque de Matthias Sindelar, posant en train de manger sur un banc, ballon aux pieds
Matthias Sindelar faisant la publicité d'un produit

C'est alors la révélation au sein d'un club qu'il ne quittera jamais jusqu'à la fin de sa carrière mais aussi une révélation au sein d'une nation toute entière à laquelle il sera fidèle jusqu'à son dernier souffle.

Au total, il portera le maillot violet de l'Austria plus de 700 fois pour un total d'environ 600 buts. C'est dans ce club qu'il fera connaître ses talents de dribbleur, très doué techniquement, qui ne rate pas une occasion devant le but et qui est doté d'une capacité exceptionnelle à effacer ses adversaires en un contre un. Il remplira son armoire à trophées en devenant double champion national avec l'Austria mais également sextuple vainqueur de la coupe d'Autriche.

Automne 1926, c'est à cette époque qu'il connaît ses premiers matchs avec le maillot de la sélection nationale sur le dos. Des débuts très alléchants puisqu'il inscrit 4 buts en 3 matchs, le début d'une belle et longue série. Après une période d'absence au sein de la sélection autrichienne, il revient en force en Mai 1931 lors d'une rencontre contre l'Ecosse. L'équipe autrichienne, positionnée alors en 2-3-5, système tactique très courant pour l'époque, ne fera qu'une bouchée de l'équipe écossaise : victoire 5-0. Humiliation à domicile pour les joueurs écossais, devant plus de 60 000 spectateurs ébahis. Huit jours plus tard, l'Autriche écrasera l'Allemagne à Berlin sur le score de 6 à 0. C'est à la suite de ce match que la sélection gagne son surnom légendaire de “Wunderteam”. C'est également le début d'une des plus belles périodes de l'histoire de la sélection d'Autriche. Le chef d'orchestre ? Le sélectionneur Hugo Meisl ! Sous ses ordres, l'équipe va enchaîner une série de 14 matchs consécutifs sans défaite. Mais la plus belle partition revient incontestablement à Matthias Sindelar durant la très large victoire face à la Hongrie 8 buts à 2, rencontre durant laquelle Sindelar ne fera aucune fausse note en inscrivant un triplé durant la première demi-heure puis en effectuant cinq passes décisives durant le reste de la rencontre. Ce joueur est complet, non seulement il marque, mais il sait faire sublimer une équipe à part entière, simplement grâce à ses talents de maestro sur un terrain. Le virtuose du ballon rond gagne alors son surnom le plus connu : le Mozart du Football. Leur belle série prend fin le 7 décembre 1932 suite à une défaite 4 à 3 sur en terrain anglais. Pourtant, malgré cette défaite, les joueurs sont acclamés à leur retour. C'est la première fois dans l'histoire qu'une équipe non Britannique arrive à marquer plus d'un but aux Anglais sur leur pelouse. Entre 1931 et Avril 1934, l'Autriche ne concède seulement que 2 défaites, toutes sur la plus petite des marges.

Matthias Sindelar posant avec le maillot national de l'équipe d'Autriche lors d'un match
Matthias Sindelar avec le maillot national de l'équipe d'Autriche lors d'un match international

La sélection attaque ensuite les Tours préliminaires de la Coupe du Monde 1934. Elle tombe dans la poule de la Hongrie et de la Bulgarie. 3 équipes pour 2 places ! Après une facile victoire de la Hongrie 4 buts à 1 en Bulgarie, l'Autriche écrase cette même Bulgarie sur le score de 6 buts à 1. Au troisième match de cette compétition, les hongrois battent de nouveau les joueurs bulgares toujours sur un score de 4 buts à 1. Quasiment éliminée, la Bulgarie abandonne ces éliminatoires, ce qui laisse les deux places qualificatives à la Hongrie et à l'Autriche sans que ces deux équipes n'aient eu à s'affronter. L'Autriche n'a donc eu besoin que d'une seule rencontre pour valider son ticket direction l'Italie.

Mais suite à l'annonce de l'Angleterre (alors meilleure équipe du monde) de bouder la compétition de la FIFA, une équipe favorite se détache : l'Autriche et sa Wunderteam !

Une propagande, plus qu'une Coupe du Monde [...]

Deux ans avant “les jeux de la honte” à Berlin en 1936, organisés, par Hitler, pour Hitler et promouvoir ses idéaux politiques aux 4 coins de la planète, la Coupe du Monde de Football 1934 en Italie sera le théâtre de la propagande fasciste de Mussolini.

Petit retour en arrière sur la situation politique de l'Italie à l'époque. En 1922, à la suite de la très connue “Marche sur Rome”, le dictateur fasciste Benito Mussolini prend la tête de la nation italienne. Progressivement, il impose ses pensées politiques au peuple de son pays jusqu'à en faire un état totalitaire et n'hésite pas à enlever et à tuer tous ses opposants politiques qui osent se mettre en travers de son chemin. Lors de ses discours, ce type, débordant d'énergie, harangue la foule qui répond au diapason, comme dans toute dictature... Il s'engagera même aux côtés de l'Allemagne nazie durant la Seconde Guerre Mondiale.

Revenons à notre Coupe du Monde, quelques jours avant le début de la compétition, le ”Duce” comprend qu'une victoire italienne à domicile pourrait exposer au monde entier la grandeur de son peuple fasciste. Il décida alors que l'Italie devait remporter ce mondial, je vous laisse deviner la suite et qui aura le privilège de pouvoir soulever le fabuleux trophée Jules Rimet

A l'époque, les équipes entament leur compétition directement en huitième de finale. Les joueurs autrichiens débutent leur campagne italienne en battant la France sur le score de 3 buts à 2 après prolongations puis éliminent leur voisin hongrois 2 buts à 1 en quart de finale.

La Wunderteam avant son match d'ouverture de la Coupe du Monde 1934 contre la France
La Wunderteam avant son match d'ouverture de la Coupe du Monde 1934 contre la France

En demie, elle affrontera l'Italie qui a écrasé les Etats-Unis 7-1 en huitièmes mais qui, en quart de finale a buté contre l'Espagne 1 but partout après prolongations. A cette époque, les tirs au but n'existant pas, le match sera rejoué dès le lendemain avec, cette fois-ci, une victoire italienne 1-0 au bout de 90 minutes. A la suite du deuxième match, l'arbitre suisse René Mercet sera radié par l'Association Suisse de Football pour avoir accordé un but entaché d'un hors-jeu à l'Italie et pour avoir refusé l'égalisation espagnole qui était totalement valable. Le journal l'Auto, ancêtre de L'Equipe écrira même : “L'arbitre conduisit les opérations avec une telle désinvolture qu'il paraissait fréquemment être le douzième homme de l'Italie”.

Petite présentation des deux équipes engagées dans la demie qui s'annonce comme une finale avant l'heure ! D'un côté, la légendaire Wunderteam de Matthias Sindelar, grandissime favorite de la compétition mais qui a dû batailler pour vaincre ses précédents adversaires. De l'autre, le pays hôte, l'Italie, avec, à son bord, le magicien Giuseppe Meazza, mais également dans sa poche un atout de taille : les différents arbitres. Comme l'exprime si bien Maxime Dupuis pour Eurosport : “11 hommes sur le terrain, un 12ème en tribune, et un 13ème : Benito Mussolini qui va consacrer le plus clair de son temps à convaincre un 14ème, vétu de noir, de ne pas barrer la route ni d'entraver sa conquête. Quoi qu'il en coûte, l'Italie devra aller au bout !”.

4 mois auparavant, les autrichiens avaient déjà battu les italiens à Turin sur le score de 4 buts à 2. Mais cette rencontre, synonyme de revanche, prendra une toute autre tournure. Avant même le début de la rencontre, les scandales s'accumulent. L'entraîneur autrichien annonce à ses joueurs qu'il aurait eu vent du fait que l'arbitre aurait dîné la veille avec Mussolini et qu'il allait arbitrer tout le match en faveur des italiens suite à sa corruption. Sous une pluie battante, rendant le terrain très défavorable à Sindelar, puisqu'il ne peut pas mettre en avant sa qualité technique, le match tant attendu peut enfin démarrer. L'Italie ouvre le score suite à une action très controversée ! Alors que Platzer, le gardien autrichien allait s'emparer du cuir, celui-ci est plaqué au sol dans le feu de l'action par trois joueurs italiens, laissant ainsi le ballon rentrer tranquillement dans les cages de la Wunderteam. L'arbitre suédois Ivan Eklind accordera, bien évidemment, le but en faveur des Italiens. 1 à 0 ! Au cours de ce match, le boucher Luis Monti, joueur argentin évoluant sous les couleurs de la Squadra Azzura, découpe volontairement le pauvre Sindelar qui se blessera au genou à la suite de ce tacle assassin. Mais l'arbitre ne bronchera pas et ne daignera même pas siffler faute. Le jeu continue ! Malheureusement, les remplacements n'existant pas à l'époque, l'autrichien doit rester jouer sur la pelouse malgré sa blessure. Il en sera également de même pour Schall, autre attaquant autrichien. Cependant vous n'avez pas encore tout entendu, le fait marquant le plus grave viendra une nouvelle fois de l'arbitre Eklind ! En 1998 lors d'un reportage pour la BBC, le joueur autrichien de l'époque Joseph Bican expliquera la situation rocambolesque : “L'arbitre a même joué pour eux, quand j'ai envoyé le ballon sur l'aile droite, un de nos joueurs, Cizek, a couru pour le récupérer, mais l'arbitre l'a renvoyé de la tête aux italiens ! C'était terrible ! Incroyable !”. Le match se terminera sur ce triste 1 à 0 et l'Italie accèdera à la finale de sa Coupe du Monde tandis que l'Autriche jouera le match pour la troisième place face aux Allemands.

Elle finira quatrième de la compétition après une défaite 3-2 contre la Mannschaft. L'Italie quant à elle jouera sa finale face à la Tchécoslovaquie. Et devinez qui sera désigné arbitre principal de la rencontre… Le fameux Ivan Eklind, arbitre lors de la demi-finale contre l'Autriche ! Après avoir été menée 1 à 0, l'Italie reviendra au score à 9 minutes du terme de la rencontre puis viendra s'imposer 2 buts à 1 après prolongations. Les joueurs exultent, le stade aussi, Mussolini n'est pas en reste ! L'Italie est championne du monde ! Le dictateur a gagné son pari, faire rayonner la puissance de son peuple fasciste aux yeux de la planète entière.

Pour l'Autriche, elle vient de rater la plus belle occasion de s'imposer sur le toit du monde. Une si belle occasion ne s'est plus jamais représentée devant elle, et ce, jusqu'à nos jours… Elle écrit alors la première page du livre décrivant les plus grandes équipes de l'histoire à n'avoir jamais remporté le graal mondial. Elle sera rejointe dans le futur par la Hongrie de Puskas ou encore les Pays-Bas de Cruyff. La Wunderteam n'est plus…

Année 1937, dans le but d'espérer une qualification pour la Coupe du Monde l'année suivante, la sélection autrichienne enchaîne les matchs amicaux. Un match va nous intéresser plus particulièrement : celui contre la Suisse le 19 Septembre. L'Autriche vaincra la sélection helvétique 4 buts à 3. Outre le score prolifique de ce match, ce sont surtout les acteurs de la rencontre qui nous intéressent, un plus particulièrement : Matthias Sindelar. En ouvrant le score, il vient de marquer son dernier but en match officiel avec le maillot rouge et blanc sur ses épaules. Ce match est également son dernier match officiel avec sa sélection. Alors en méforme sur le moment, il ne sera pas sur la feuille de match lorsque sa nation parviendra à se qualifier pour la Coupe du Monde 1938 en battant la Lettonie.

L'objectif de l'ex Wunderteam est alors clair ! Remporter la Coupe du Monde 1938 afin de renaître de ses cendres ! Il n'en sera rien ! Malheureusement, elle n'aura même pas l'occasion de tenter sa chance dans la compétition…

[...] Une propagande, plus qu'un match amical !

Avec l'arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne quelques années auparavant, cette nation rentre dans l'une des périodes les plus sombres de son histoire. Afin de montrer l'excellence ainsi que la suprématie de la race aryenne, race qu'il considère comme la plus belle et la plus forte, Hitler décide d'agrandir son territoire en annexant des territoires voisins. C'est l'Anschluss ! Le 12 Mars 1938, l'Autriche est envahie par les soldats du Reich et est annexée. Elle n'est donc plus reconnue en tant qu'Etat indépendant, situation dans laquelle elle restera jusqu'en 1945, date de fin de la Seconde Guerre Mondiale. Politiquement et économiquement parlant, l'Autriche sera considérée comme la première victime du nazisme, sportivement parlant, le constat ne peut-être que similaire… Elle ne pourra pas participer à la Coupe du Monde 1938. Triste destin pour une si belle équipe d'Autriche.

Afin d'apaiser les tensions dans la zone envahie mais également pour célébrer la réunion des deux territoires germaniques, Hitler et ses proches décident alors d'organiser un match amical avant la fusion des équipes sportives. Ce sera le dernier match de l'équipe d'Autriche avant de voir ses joueurs intégrer l'équipe nationale allemande. Cette rencontre restera dans les annales comme “l'Anschlusspiel”. Le déroulement de cette opposition sportive est déjà prévu bien avant même le lancement de la partie. Elle devra se solder sur un score nul et vierge, un 0 à 0 signe d'équité sportive mais également de fraternité entre les deux peuples.

Représentation de l'équipe allemande rentrant sur la pelouse sur le programme officiel de l'Anschlusspiel
Représentation de l'équipe allemande rentrant sur la pelouse sur le programme officiel de l'Anschlusspiel

3 Avril 1938, Vienne, l'heure de la rencontre a sonné, le match dont l'histoire est déjà écrite peut commencer. L'histoire est déjà écrite ? Pas tout à fait finalement, quelques éléments perturbateurs vont venir contrecarrer les plans des nazis. Ces éléments perturbateurs ne sont autres que quelques joueurs autrichiens, avec, en tête, Matthias Sindelar ! Le virtuose du ballon rond humilie les défenses allemandes grâce à ses capacités techniques sensationnelles. Mais le match a été arrangé, il ne peut donc pas marquer le moindre but, il fera alors exprès de tirer à côté des montants et de ne pas conclure ses actions malgré son aisance balle aux pieds. Mais après plus de 70 minutes de jeu où les Autrichiens écrasent les Allemands, c'en est trop pour Sindelar qui décide d'outrepasser les ordres qu'il a reçu ! Avec le soutien de la foule dans le stade acquis à la cause des Autrichiens, le prodige vient pousser le ballon au fond des cages allemandes. C'est le but ! La foule éclate de joie ! C'est alors que, dans un élan de joie, il s'en va célébrer son but au pied de la tribune où s'étaient regroupés les responsables nazis. Les dirigeants font grise mine, le 0-0 tant rêvé par les nazis n'aura donc pas lieu, l'Autriche mène 1 à 0 ! Puis 2 à 0 grâce à une sublime réalisation de Szestak. Cette victoire sera célébrée par le peuple autrichien, fier de montrer que malgré l'Anschluss et la fusion des joueurs qui va suivre, l'équipe d'Autriche ne s'est pas faite marcher dessus et reste beaucoup plus solide que l'équipe allemande.

Deux mois seulement après ce match, la Coupe du Monde 1938 est officiellement lancée en France. La Mannschaft est composée pour moitié par des joueurs allemands, et pour autre moitié par des joueurs autrichiens. Cependant, certains joueurs autrichiens préfèrent arrêter de porter le maillot d'une équipe nationale plutôt que de trahir sportivement leur ancienne nation. Parmi les récalcitrants : Matthias Sindelar qui prétexte alors son âge avancé ou une blessure vieille de quinze ans pour ne pas porter le maillot allemand. Cependant, l'association de talents allemands et autrichiens ne fera pas de merveilles lors de cette compétition, l'équipe nationale est sortie dès le premier tour au Parc des Princes face à la Suisse !

Trois théories pour une cause de décès inconnue

Pour en revenir au maestro du ballon rond, il décide de mettre fin à sa carrière internationale à la suite du fameux match de l'Anschlusspiel et de la fusion des deux nations. Aussi, il rachètera un café à un ami juif, qui n'a donc plus le droit d'exercer sa profession à cause des nouvelles lois en vigueur dans la région. Malgré l'antisémistimse régnant en masse à l'époque, il continue tout de même de côtoyer ses amis juifs. A son ancien président de l'Austria Wien, révoqué par les nazis, il dira : “Nous avons été interdits de vous parler, mais moi Monsieur, je vous parlerai toujours !”. A cause de ses actions sportives mais également de ses fréquentations, agacerait-il au plus haut de la nation nazie ?

23 janvier 1939, un ami de Sindelar s'étonne de ne pas le voir durant la matinée au café du footballeur. Il se rend alors au domicile du joueur, tambourine à la porte d'entrée mais aucun signe de vie. Il enfonce alors la porte et découvre, avec horreur et tristesse, Sindelar inanimé dans son lit aux côtés de sa récente compagne de l'époque Camila Castagnola, italienne et juive. Le couple ne survivra malheureusement pas… Le choc est immense dans les esprits de la population autrichienne tant la popularité du joueur était colossale. Mozart est mort… Reste à déterminer la cause de leur mort si soudaine et inattendue. La police enquêtant sur le décès conclut l'affaire rapidement : les deux compagnons seraient décédés à la suite à une intoxication au monoxyde de carbone due à un poêle défectueux. Mais cette version de la mort du footballeur ne fait pas l'unanimité au sein du peuple autrichien. Plusieurs hypothèses ont germé dans leurs têtes.

Première thèse, le poêle du couple serait bien défectueux et aurait bien causé la mort des deux amoureux. D'autant que plusieurs plaintes concernant l'état pitoyable de certains poêles de l'immeuble auraient été déposées par plusieurs habitants.

Deuxième thèse, plus à la Tristan et Iseut. Le couple aurait décidé de se suicider afin de s'épargner l'exil contraint à cause du pouvoir antisémite en place à l'époque.

Et enfin, la dernière thèse, plus politique : la Gestapo aurait assassiné le footballeur, devenu trop gênant pour les dirigeants nazis. Malgré le fait que le dossier de sa mort et de son autopsie ait rapidement disparu, aucune preuve concrète ne vient appuyer cette thèse.

Le jour de ses funérailles, 15 à 20 000 personnes le suivent durant ses derniers instants. Le footballeur s'en est allé, il emmène avec lui ses exploits, ses prises de positions, mais aussi toute l'admiration et l'amour de la jeunesse viennoise envers ce prodige. Malgré le temps qui passe, l'Homme de Papier demeure dans toutes les mémoires. Il repose désormais au cimetière central de Vienne, non loin de Beethoven, Brahms, Schubert ou encore de la dynastie Strauss. Il ne manquait plus que le Mozart du Football pour venir compléter cette partition de compositeurs ! Wolfgang Amadeus, quant à lui, est enterré au cimetière de Sankt Marxer.

Cérémonie funéraire de Matthias Sindelar
Cérémonie funéraire de Matthias Sindelar

Depuis ce jour-là, chaque 23 Janvier, de nombreux Autrichiens, footballeurs comme anonymes, se réunissent devant sa tombe pour se remémorer le passé de l'ancienne idole de tout un peuple.

Photo de la tombe de Matthias Sindelar que j'ai prise lors de mon voyage à Vienne, une écharpe de l'Austria Vienne étant posée sur la pierre tombalePhoto de la tombe de Matthias Sindelar que j'ai prise lors de mon voyage à Vienne, une écharpe de l'Austria Vienne étant posée sur la pierre tombale
Photos de la tombe de Matthias Sindelar que j'ai prises lors de mon voyage à Vienne avec une écharpe de l'Austria Vienne déposée par un supporter sur la pierre tombale

Attention tout de même aux différentes interprétations que vous pouvez faire de ses gestes de protestation répétés envers le gouvernement de l'époque. En ce qui concerne le match de l'Anschlusspiel, l'historien du sport, Paul Dietschy expliquera : “Les explosions de joie de Sindelar, la foule du stade Ernst-Happel, à Vienne, oui, tout ça a existé. Le problème, c'est l'interprétation qu'on leur donne. D'après moi, ces célébrations sont plus le signe d'un refus de l'Anschluss sportive que d'une démonstration politique. Il peut y avoir eu des petites formes d'opposition mais elles se situent toutes sur le terrain sportif où les identités locales sont très fortes. Et ça continue jusqu'en 1943 ! Quand les équipes allemandes viennent jouer à Vienne, elles sont conspuées. Non pas tellement parce qu'elles représentent le nazisme, mais comme des équipes qui représentent l'Allemagne.” Pour la mort de Sindelar, ce même historien racontera : “Sindelar est mort comme Zola : asphyxié au monoxyde de carbone. À l'époque, c'était très fréquent de mourir comme ça. Alors, est-ce un attentat de la Gestapo ? Tout est possible, mais c'est très difficile à affirmer.”

De nos jours, un proverbe français très célèbre raconte : “Les paroles s'envolent, les écrits restent”... Pour notre sujet, il faudrait légèrement adapter cette maxime : “Les vidéos défilent, les écrits restent”. Très peu d'images de ce poète du ballon rond circulent encore à notre époque, il faut donc s'appuyer pour cela sur les mémoires des témoins de ce temps, sur les récits de ses partitions invraisemblables sur un rectangle vert.

Les différentes théories sur les événements de sa vie, plus ou moins réalistes, ont contribué à la légende et au mythe Matthias Sindelar, plus grand footballeur autrichien de l'histoire, si ce n'est même le plus grand sportif autrichien de tous les temps !

Crédits de l'épisode sur Matthias Sindelar